Call Of Nemesis : Date indéterminée (partie 2/2)


Chapitre 3 : 21h11

 

 

 

 

La porte resta à demi ouverte, apparemment sans surveillance. Quelque chose clochait. D’abord le repas, le « je reviens avec une chaise Â», et maintenant la porte négligemment laissée sans garde... On cherchait à me rassurer, me mettre dans de bonnes dispositions. Savoir pourquoi leur attitude avait changé depuis notre première rencontre cette après midi me serait utile. J’imaginai de multiples hypothèses, sans qu’aucune ne me convienne. Ils n’avaient pas pu apprendre entre temps mon identité, puisque c’était pour cela qu’on me retenait ici.

Dans le même ordre d’idée, s’ils me connaissaient, ils devaient également savoir pourquoi j’étais ici. En fait, peu de choses pouvaient expliquer clairement leur nouveau comportement.

Les cacodaïmons n’avaient pourtant pas pour réputation d’être tendres. On les appelait justement ainsi puisque étymologiquement, cela signifiait « mauvais esprit Â». Ceux qui croisèrent leurs routes –et qui y survécurent- rapportèrent plus tard qu’il s’agissait d’hommes et femmes particulièrement froids et sans pitié, capables de massacrer de sang froid des familles entières. Je tenais donc à rester vigilante, quoiqu’il arrive. Le moment était propice à la décontraction, et donc à l’erreur. Un faux pas maintenant, et le retour aux choses sérieuses serait extrêmement brutal. Au moins, cette fois, je n’avais pas eu à dissuader quelqu’un de me torturer. Enfin, pour l’instant.

Thomas –si c’était bien son vrai prénom- revînt sans trop se faire attendre –encore une chose troublante- puis s’assit jambes croisées sur la chaise qu’il avait rapportée. Je l’imitais, mais en gardant les jambes parallèles, pieds ancrés au sol. Cela n’avait l’air de rien, mais ma position était du coup bien plus active que la sienne. Il n’avait pas l’air de s’en rendre compte, ou du moins d’y accorder une réelle importance. Mais dans le jeu du « qui domine l’autre Â», la position pouvait révéler beaucoup de choses sur nos attitudes respectives.

Vu comment se présentaient la discussion, j’espérais en prendre et, pourquoi pas, récolter des informations.

_Vous devriez manger. La discussion risque d’être longue, et je me doute que vous devez avoir faim.

_Comme je vous l’ai dit, je souhaiterais plutôt...

Il me coupa la parole d’un geste lent de la main.

_Il n’y a personne à impressionner. Tout ce que je cherche, c’est à vous parler. J’ai seulement des choses à vous demander, et vous devez également en avoir...

Il laissa sa phrase en suspens dans le but de m’inciter à parler la première. Voilà un jeu où le premier à commencer avait toutes les chances de dévoiler ses cartes en mains. J’avais pourtant bel et bien une chose à lui demander. Je pris mon temps pour penser au mieux ce que j’allais dire. Je cherchai en moi un ton aussi confiant que sec :

_J’aurais une question, très brève, à vous poser...

Je marquai une pause et tentai de le transpercer des yeux.

_Vous jouez à quoi ?

Il fronça les sourcils et accentua son attention sur moi. Si je m’avouai avoir du mal à soutenir son regard, il était hors de question de porter le mien ailleurs. Après tout, je n’en étais pas à ma première fois.

_Qu’est-ce que vous voulez dire ?

_Vous m’avez enlevée, mise dans cette pièce où je suis retenue prisonnière et dans un même temps, vous tentez de me rassurer, m’apportez un repas chaud et proposez une discussion au lieu d’un interrogatoire. Faire tout cela alors que vous m’ôtez ma liberté...

Il ricana et accompagna ses mots de haussements d’épaule et de sourcil.

_Les autres veulent vous ôter votre vie. Vous voyez, vous y gagnez au change.

A court d’idée, je ne sus quoi répondre sur le moment. En réalité, il n’y avait rien à répondre. Tout ce que j’avais à faire était de sauter sur l’occasion, de rebondir sur sa phrase. Après un instant de silence, je repris la parole.

_Vous souhaitiez me demander « des choses Â»... Je suppose que vous ne m’avez pas sortie de là où j’étais par pur altruisme. Je peux apparemment vous rendre service. Nous serons deux à y gagner au change, vous voyez.

Il éclata de rire. Il décroisa ses jambes et se pencha vers moi. La pression était redescendue dès qu’il eut parlé des « autres Â» qui tenaient à m’ôter la vie. Ce jeune homme en face de moi ne faisait donc pas partie de la Troisième Faction. Si ce constat me réjouissait, cela signifiait par la même que j’en savais encore moins que ce que je croyais sur lui, qui, à l’inverse, était bien documenté.

_Vous vous appelez Tarah Belahid, reprit-il, lentement. Vous avez quarante-quatre ans et êtes journaliste de terrain pour les chaînes nationales. Voilà ce que je sais. Ce que j’ignore, c’est ce que vous avez appris.

_A propos de quoi ?

_De la guerre dans ce pays. De ses origines. De ceux qui l’ont déclenchée.

Je me rappelai avec lui comment nous en étions arrivés là. Tous ces évènements apparemment anodins qui coïncidaient tous peu à peu vers le chaos. D’une simple grève, tout dérapa. Il y eut des morts, par dizaines, sans que l’on ne comprenne vraiment pourquoi. S’en suivirent d’autres faits tragiques. Les forces de l’ordre firent feu quelques semaines plus tard pour maîtriser une foule de manifestants. Bientôt les cortèges funèbres se transformèrent en groupes d’émeutiers. Le pays tout entier devint rapidement une bombe à retardement. Des points de violence apparurent dans les mois qui suivirent un peu partout et contraignirent les élus à demander l’intervention de CRS, ainsi que la mise en place d’un couvre feu. Mais ce qui devait calmer la population l’embrasa. La gendarmerie fut attaquée, et parfois même mise en échec. C’est alors que nous perdîmes contact avec quelques casernes de pompier, de gendarmerie, et même militaires. Le temps que l’on réagisse, que l’on fasse notre travail, tout était fichu.

La France était en pleine guerre civile.

Je revus les annonces de presse posées sur la table, avant mon départ. On y lisait que des points chauds se formaient un peu partout en Europe.

Des milices se regroupèrent, et c’est alors que l’on commença à parler de factions. La première était incarnée par les forces de l’ordre de l’état, tellement submergées qu’il leur arrivait d’attaquer des villes sur un simple soupçon. La seconde avait été formée par des civils, pour protéger les points stratégiques. C’était de loin la moins organisée, s’attaquant les uns les autres. Enfin, la fameuse Troisième, dont je n’avais pas saisi les vrais motivations.

On entendait dire qu’ils souhaitaient un nouvel ordre mondial. J’étais sûre qu’il s’agissait d’autre chose. Aucun groupe alter mondialiste, aussi extrémiste fût-il, n’avait réalisé le centième de cette opération. L’armée elle-même ne pouvait stopper les cacodaïmons. Ces derniers représentaient être les décideurs de cette organisation. Un halo mystérieux les enveloppait, ils étaient comme des légendes dont on narrait les exploits invraisemblables. Outre la dimension mystique, des gens les suivaient dans leurs choix et les écoutaient, ce qui en faisait des personnes particulièrement dangereuses.

_Lorsque les émeutiers se sont organisés en milices, j’ai rapidement constaté qu’elles étaient interconnectées. Elles possédaient une capacité de coordination étonnante, pour des groupes de civils. Certains groupes paramilitaires ne sont pas aussi organisés. J’ai appelé mes contacts de l’armée de Terre, et appris qu’ils perdaient des casernes. Les tanks qui nous ont attaqué devaient provenir de l’une d’entre elles. Une partie de l’armée a déserté et rejoins les milices.

Au fur et à mesure que je parlais, je prenais mes aises, commençais à m’exprimer avec les mains. L’interrogatoire tant attendu ne devenait en fait qu’une simple discussion. J’en oubliais presque que j’étais sa captive.

_Quand avez-vous entendu parler de cacodaïmon, de Troisième Faction ?

_Une fois que j’avais identifié la coordination, j’ai surveillé les actions menées contre l’armée. Naturellement, à chaque vague de points chauds, on trouvait un point de violence qui éclatait avant tous les autres. Il y avait donc une cellule décisionnaire, que j’ai localisée par recoupements. J’ai pris mon caméraman et nous sommes partis pour ici, dans le Sud, pour trouver cette cellule, quatre jours avant l’attaque. La suite, je crois que vous la connaissez.

_Je vois...

Il parut absent, quelques secondes, le regard fixe sur le sol, puis revint à moi. Il se leva de sa chaise et fit quelques pas.

_Je pensais vraiment que vous aviez compris...

L’atmosphère se refroidit aussi sec. Désormais, lui seul avait encore des cartes en mains. J’avais mal joué mon coup et avais perdu l’initiative. La seule chose que je pouvais maintenant faire était de suivre ses mouvements. Echec et mat.

_Compris quoi ?

_Ce qu’il se passe dehors...

Il laissa volontairement un long silence planer. Finalement, j’admettais qu’il maîtrisait l’interrogatoire finement, pour un aussi jeune homme.

_Ce n’est pas une guerre civile.

_Que...

Je ravalai ma salive et refermai ma bouche béante. Il se moquait de moi, c’était inconcevable !

_Qu’est-ce que vous en savez ?

_Parce que je fais partie des personnes qui en sont à l’origine.

Mon cœur battait plus fort que ce que pouvait grogner mon estomac. Cet homme se tenait en face de moi, me fixait de ses yeux noirs perçants, un sourire de satisfaction aux lèvres.

Il avait gagné un point en me faisant baisser ma garde. Il s’amusait depuis le début à me faire tourner en bourrique,.

Tout était fait pour me mettre en confiance, afin de mieux me briser ensuite. Sans aller jusque là, la situation état passablement déstabilisante. Cela rendait au moins les choses plus intéressantes.

_De quel côté êtes-vous, exactement ?

_De celui des vivants.

Je pouffai de rire. Sa réponse voulait tout et rien dire à la fois. Je n’eus cependant pas l’occasion de répliquer. La porte s’ouvrit, avec « le serpent Â» derrière. L’homme blond qui accompagnait Thomas la première fois que je les avais vus se tourna vers moi, avant de s’adresser à son complice.

_Salutations. SinSèrement attriSté de Saloper Sette Superbe diScuSion, Sependant, nous Sommes aSiégés.

_Pile à l’heure. Nous en avons encore pour quelques minutes. Tu t’occuperas de son extraction après.

_Soit. Serait-tu Surprise de Savoir que les States et les britanniques ont Succombé SucSeSivement ? Sa nous a été tranSmit à l’inStant.

_Ils n’auront pas tenu bien longtemps...

Il soupira, perdu dans ses pensées alors que le blond sorti de la pièce. Pour ma part, je restai un peu sonnée de ce que je venais d’entendre. Il disait vrai, ça ne pouvait être une guerre civile généralisée, nous devions nous l’avouer une fois pour toute. Je finis mon résonnement à haute voix, dans l’espoir qu’il puisse m’aider.

_Ce n’est pas une attaque extérieure... Nous aurions déjà identifié l’ennemi... Mais quel groupe est assez puissant pour s’attaquer à plusieurs pays simultanément ?

Il sorti de ses réflexions d’un haussement de sourcil.

_Vous ne vous posez pas la bonne question, celle qui vous permettrai de tout comprendre.

« La bonne question... Â»

_...Qui sont les cacodaïmons ?.

Il sourit et s’approcha de moi. Je restai alerte, étant donné son caractère imprévisible.

_Voilà. C’est la bonne question à se poser.

Il sortit une enveloppe épaisse et froissée, pliée en deux, que je pris en me levant.

_Qu’est-ce que c’est ?

_C’est la raison pour laquelle nous vous avons amenée ici. Nous devions d’abord savoir qui vous étiez avant de vous confier de telles informations. Avant que vous ne le demandiez, elle contient ce dont vous avez besoin pour comprendre.

M’offrir un tel cadeau devait sûrement comporter une clause, de celles que l’ont ne lit jamais.

_Pourquoi vous m’aidez ?

Je vous l’ai dit, j’ai une grande part de responsabilité dans ce qui arrive au Monde. Il est temps de dévoiler la vraie nature de ce conflit. Nous devons nous organiser.

Il se dirigea vers la porte. Je le suivis machinalement et nous sortîmes dans un couloir d’hôpital. Durant tout ce temps, j’avais été enfermée dans une espèce de pièce de stockage.

« Si j’avais su. Â»

Le bâtiment entier était en ruine, couvert des cicatrices dues à ces derniers mois. Je plissai les yeux du fait de la luminosité ambiante.

Des tirs d’armes automatiques résonnaient continuellement. Parfois, des détonations plus fortes se faisaient entendre.

_Vous organiser ?

_Oui. Pour la contre-attaque.

Il m’amena dans une pièce où « le serpent Â» et d’autres hommes armés attendaient, puis il se tourna vers moi.

_Nous nous séparons ici. Ces hommes vous escorteront jusqu’à Paris, où vous diffuserez votre reportage pour lequel sont morts vos amis. Envoyez-le à qui vous pourrez.

Ce qui me toucha à ce moment précis fut sa façon de me parler. Ce jeune homme si gave, si affecté semblait porter un fardeau que je n’avais même pas envie de connaître. J’acquiesçai à ses mots et m’efforçai de communiquer ma compassion. Aucun jeune ne devrait connaître ça. Personne.

_Thomas ! Un des leurs est entré dans l’hôpital ! cria un homme torse nu, habillé seulement d’un short, derrière nous.

Je vis dans son regard un « adieu Â» que je lui renvoyai. Ses traits de visage se durcirent, puis il fit demi-tour pour rejoindre le grand brin en short, avant de disparaître.

On me tapota l’épaule. Le « serpent Â» -je pensai lui attribuer définitivement ce surnom- me tendit un sandwich, le sourire en coin.

_Sachez que votre déSès Serait aSez regrettable, Surtout à cause de Sette alimentaSion peu nourriSante que vous Semblez cultiver.

Je le pris et le remerciai de bon cœur. Le voyage aurait été rude sans manger. J’avais peut être perdu deux personnes cette semaine, mais j’avais trouvé des alliés –certes étranges.

Peu importait de savoir qui ils étaient vraiment.

Nous nous dirigeâmes en groupe, moi au centre, vers une des sorties. Une déflagration impressionnante se fit entendre dehors. Des ordres furent criés, et nous sortîmes dans une tempête de balles et d’obus en direction d’un camion. Certains des hommes qui m’accompagnaient stopèrent leur course pour faire feu. Je les perdis de vue. Sans doute étaient-ils derrière moi. Je pensai à Thomas, ce qu’il m’avait confié. Je n’étais pas dupe, je savais pertinemment que nous devions nous dépêcher, si nous voulions avoir une chance de diffuser le reportage. La vue au dehors me conforta dans mon idée. Bientôt, les chaînes cesseraient d’emettre, jusqu’à la fin de la guerre. Restait à savoir s’il existait un espoir de victoire face à cet ennemi invicible, invincible. J’avais déjà la chute de mon reportage en tête. Il suffisait maintenant d’arriver en vie à Paris.

« Il semblerait... Que nous soyons à l’aube de la Fin du Monde. Â»



24/11/2007
1 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 55 autres membres