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Call Of Nemesis : La Plume Rouge (Partie1/2)

    La plume rouge

  De Thomas Carnicer ©Copyright 2007

  

 

 

Chapitre 1 : La Tempête

 

 

 

Il pleuvait. D'un autre côté, c'était tout à fait normal. La météo avait prévu hier soir une pluie torrentielle sur l'Est de l'Espagne. Le village n'était donc pas épargné.

Une à une, un à un, les tables étaient nettoyées, et les verres, essuyés.

Bientôt le bar allait fermer ses portes pour la journée. Un soupir de soulagement vint naturellement. Les longues heures de boulot accumulées dans la journée se faisaient maintenant sentir sur le physique et sur le moral. Le travail en soi n'était pas forcément dur, mais assumer la fermeture était épuisant, surtout lorsqu'on était seul.

_Il ne reste plus que les torchons à ranger, et je ferme !

A quoi bon parler seul ? Peut-être pour se rassurer.

Bien que cet endroit fusse accueillant en pleine journée, ce n'était pas forcément le cas à cette heure, d'autant lorsque le déluge attendait patiemment de tremper jusqu'aux os sa dernière victime.

Quelques éclairs illuminèrent la pièce. Le tonnerre, un sursaut, le torchon glissa des mains et atterrit sur le sol.

_Maudit orage !

Des yeux désormais expérimentés vérifièrent rapidement l'ensemble de la pièce.

_Bon ! Et bien j'ai fini !

Enfin.

Le bruit d'une respiration encore haletante fut couvert par la porte qui claqua.

Dehors, le vent contraignait à se cramponner au mur. Il était vraiment temps de rentrer.

Maintenant, voilà que c'était la grille qui faisait des siennes !

_Tu vas t'abaisser, fichue grille ! Je veux rentrer chez moi !

Dans un fracas monstrueux, la grille s'exécuta. Très rapidement, la clé, la serrure, le verrouillage.

 

 

 

_Enfin chez soi !

Cela faisait un sacré moment que je n'avais pas été aussi contente de terminer une journée. J'avais vraiment les os glacés. Je me dépêchai de poser mon sac à main, d'enlever mon manteau trempé, encore ruisselant, et d'ôter mes chaussures que je mis sur les talons contre le mur.

Je courus ensuite vers la salle de bain chercher une serviette.

Je détestais que mes cheveux soient mouillés. Sans doute parce qu'ils mettaient toujours des heures avant de sécher complètement.

_Oh, et puis zut !

J'envoyai valdinguer dans la petite salle de bain mes vêtements. Un peignoir, des pantoufles, et j'étais la plus heureuse des femmes, pensai-je en rigolant.

J'étais surtout bien plus au chaud.

De mes pieds traînards, je parvins jusqu'au frigo où une bouteille de lait m'attendait. Dans le placard de droite, du chocolat en poudre. Le meilleur.

Quelques minutes et une sonnerie de micro-onde plus tard, j'avais un chocolat chaud délicieux dans les mains.

Exactement ce qu'il me fallait, avec une série télé.

Vu comme cette soirée s'organisait, j'étais partie pour me faire un bon petit plateau télé. Déjà que la flemme de cuisiner pour moi toute seule était forte, elle triompha particulièrement ce soir.

Et c'est ainsi que se passa la soirée : le plateau repas, la télé et moi.

_La vaisselle ? lançai-je avec un air de dégoût. Je la ferais demain !

 

 

 

Un air pur me fit doucement ouvrir les yeux. Je sentis un contact délicat sur ma peau.

Une plume blanche. Elle virevolta quelques temps au gré du vent, puis se posa délicatement, rejoignant les millions, voire les milliards de plumes qui jonchaient le sol de cette plaine.

Je levai la tête. Toutes ces plumes...

Elles volaient, chacune dans une direction, sans pour autant jamais s'entrechoquer. L'une d'elle, toute rouge, se dirigea vers moi.

Je tendis la main. Elle s'y posa. C'était une magnifique plume, dont la couleur éclatante contrastait avec le blanc du paysage.

Mais une étrange sensation me dérangea rapidement. Je tendis la main vers moi.

Une goutte coula de la plume jusqu'à mon poignet. Je mis quelques secondes avant de m'apercevoir qu'il s'agissait de sang.

Surprise, je soufflai immédiatement sur la plume maculée, qui découvrit en s'envolant une tâche de sang sur ma main.

Je la fixais, sans comprendre, lorsque au loin, derrière elle, je vis Xavier à genoux, blessé.

J'accourus, criant son nom, terrifiée qu'il lui soit arrivé quelque chose.

Mais ce n'était pas lui. Bien sûr, cet homme devant moi lui ressemblait. Mais ce n'était pas lui, j'en étais certaine.

_Qui êtes-vous ?

Il me regarda, l'air anéanti, fatigué par sa blessure.

_La… La vraie question… N'est pas de savoir qui… Je suis. dit-il. La vraie question est de savoir qui tu… es toi.

_Qui je… répétai-je, immobile.

Il me regarda quelques secondes. Les gouttes de sang qui s'échappèrent de son abdomen allèrent s'écraser sur le sol, contaminant les plumes de la couleur écarlate.

J'étais incapable de dire quoi que ce soit. Comme pour me tirer de mon mutisme, il répondit, la voix toujours saccadée.

_...L'avenir.

Puis il appuya sur son abdomen. Un cri. Il se tordit de douleur.

Soudainement, toutes les plumes s'envolèrent devant mes yeux.

 

 

 

Ce qui normalement était la douceur matinale de mon lit fut une véritable torture. Prise de nausées, il fallut que je retienne mon envie de vomir.

Quel était donc ce rêve ?

Dans la salle de bain, je regardai le lavabo. Si je devais vomir, ce devait être ici. Peut être avais-je attrapé quelque chose avec la pluie de la veille. Je regardai mon reflet dans la glace. Mon mal avait pu être conséquent du rêve. Mais comment un simple rêve pouvait-il avoir autant d'influence sur moi ?

Cette question me troubla durant tout le temps que dura ma préparation qui, heureusement pour moi, fut machinale.

Pas le temps ni l'envie de me coiffer. Je me fis une queue de cheval, et pris sur moi pour être prête à l'heure.

 

 

 

Bien que je ne fusse pas dans mon meilleur état, je saluai d'un geste de tête la grue du village en fermant la porte de ma maison.

Elle avait changé de place depuis hier matin. Sans doute un nouveau lotissement à construire.

Je marchai lentement, encore étourdie de mon réveil. Fichu rêve. Il allait me gâcher la journée.

Je fis donc quelques mètres, en évitant de trop regarder le ciel et son soleil éblouissant.

Un bruit de clôture se fit entendre. Ce devait être Xavier qui sortait de chez lui.

Au bout de la rue, je le vis effectivement m'attendre. Mais je n'avais décidemment pas envie de presser le pas.

_Alessandra ? Tu viens ? On va être en retard ! lança-t-il.

Il se rapprocha de moi.

_Ca ne va pas ? Tu n'as pas l'air en pleine forme. dit-il en arrivant à ma hauteur.

_Si, si, ça va. J'ai seulement la migraine... dis-je en portant la main à ma tempe.

_T'aurais pas encore fait la fête ? dit-il, d'un air amusé.

_Non... J'ai assez mal dormi. En plus, j'ai fait un rêve horrible…

_Ah ? Raconte ?

Je portai mon regard sur lui. Même s'il était depuis un bout de temps mon ami, je n'allais pas lui parler du rêve. Rêver de son ex n'était déjà pas vraiment plaisant, mais alors en discuter avec lui, ça, jamais !

De toute manière, il nous fallut que quelques minutes pour rejoindre le bar.

Le village n'étant pas bien grand, il fallait environ un quart d'heure pour le traverser. Cela allait changer avec ces nouveaux lotissements.

 

 

 

Mon uniforme m'attendait là où je l'avais laissé la veille.

_Bonjour, les jeunes ! Alors, on est en retard !? apostropha Inès derrière moi.

_Non, non… Nous sommes à l'heure !

Elle sourit.

_Voyons tu sais bien que je vous taquine ! Je ne vais pas pinailler pour une petite minute en plus ou en moins !

Puis elle s'en retourna dans l'arrière boutique.

Sans pinailler, elle m'avait tout de même fait remarquer que j'étais en retard, et qu'elle l'avait noté.

_Fais pas attention. Elle l'a pas dit méchamment, dit Xavier.

J'acquiesçai, de fainéantise de parler. De toute façon, cela faisait partie de son caractère.

L'ouverture se fit avec les habitués. Des retraités pour la plupart, qui passaient leur temps à jouer sur la terrasse, même en ce mois d'Octobre.

_Bonjour, ma petite Alessa, dit Luis. Comment ça va ce matin ? Tu as vu, ils construisent encore d'autres maisons avec cette fichue grue...

Je me contentai de répondre poliment.

_Et comment vous allez, tous les deux ? me lança-t-il d'un air complice.

_Je ne suis plus avec Xavier depuis un mois et demi, Luis, répondis-je, lentement.

_Ah... Excuses-moi, je ne m'en souvenais plus, dit-il, désolé. Tu sais, à mon âge...

Ca pour le savoir, je le savais. Cela me faisait quelque part de la peine qu'il ne se souvienne jamais d'une fois sur l'autre les questions –et surtout les réponses- de la veille. 

Je vis qu'il cherchait autre chose à me dire, afin de ne pas terminer sur une maladresse. C'était touchant de gentillesse.

_Et pour cette fin de semaine ? Tu as prévu quoi, dis moi ?

J'éclatai de rire. Il n'allait pas aimer la réponse.

J'avais prévu de sortir avec mes copines le samedi, à Barcelone.

La journée, en ville, pour voir mes parents et la nuit, en boîte, jusqu'à plus d'heure.

Le dimanche serait pour récupérer.

_Oh ! Ce n'est plus de mon âge ça ! dit-il en se levant pour partir avec un geste de la main. Bon ! Je te laisse ! Portes-toi bien !

Me porter bien... Il n'avait pas idée du mal que je me donnais pour paraître réactive et éveillée.

Même si, routine oblige, la journée passa dans l'ensemble assez rapidement, ce fut dur.

Des coups de barre, des maux de têtes, mais c'était surtout le fait d'avoir toujours à l'esprit la plume rouge dans ma main. Ce rêve avait quelque chose de familier, sans que je puisse savoir quoi. Cela me contrariait, comme lorsque l'on a une réponse sur le bout de la langue, sans pour autant pouvoir la prononcer.

La seule attraction de la journée fut l'arrivée de deux jeunes français qui, dans un espagnol sommaire, me demandèrent deux baguettes de pain et deux glaces trois chocolats.

Habituellement, les étrangers venaient durant l'été et non en ce début d'Hiver. Les français étaient particulièrement nombreux dans cette région, ce qui n'était pas pour plaire à tout le monde. Pour ma part, je me régalais toujours, presque avec sadisme, de voir le mal avec lequel ils essayaient de s'exprimer.

 

 

 

Ma migraine passa dès le vendredi soir, ce qui me permit de me préparer physiquement et mentalement pour la journée du samedi. Je fus heureuse de ne plus faire de rêve aussi perturbant.

Le week end se passa exactement comme je l'avais expliqué à Luis.

De retour le dimanche après midi, j'avais élu domicile le fauteuil du salon. Devant la télé, la loque à moitié endormie que j'étais regardait les films. A moitié toujours.

_J'ai rien compris à ce film. C'était vraiment mauvais, marmonnai-je.

J'éteignis la télé, les yeux quasi-closs. Quitte à dormir, autant retrouver mon lit.

Un long soupir de satisfaction plus tard, j'étais vautrée sous les couvertures, prête à être accueillie par Morphée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Chapitre 2 : Terreur Diurne

 

 

C'était comme si je revenais quelques jours en arrière. Tout y était. La plaine, l'air doux, les plumes, le sang...

Même lui.

Cette fois-ci, le ciel s'était couvert. De rares gouttes de sang tombaient sur les plumes blanches. J'en reçus une sur le visage.

Je ne comprenais pas. J'étais là, à contempler ce qui ne pouvait être un rêve. Ce n'était pas pour autant réel. Enfin, je présumai que cela ne le fusse pas.

_Je connais cet endroit...

Je regardai tout autour de moi l'étendue quasi infinie. L'homme qui était à côté de moi, toujours à genoux, en fit de même.

_C'est intéressant comme l'on s'attache à des choses, sans pour autant comprendre l'importance qu'elles ont.

Il me regarda, l'air grave.

_On aimerait qu'elles ne changent jamais, continua-t-il. Mais elles changeront. Elles changeront plus vite que tu ne le crois.

Je secouai la tête pour lui signifier mon incompréhension. Il baissa les yeux, quelques instants, comme pour regretter mon manque de sagacité, puis il reporta son regard sur moi.

_Ce que tu possèdes. Ceux que tu aimes. Tu les perdras.

_Non...

_Accepte-le.

Je reculai, les yeux pleins de larmes. Son regard triste me les fit couler.

_De quel droit...

 

 

 

_De quel droit ! sanglotai-je dans mon lit.

Je balançai d'un coup de rage mon oreiller imbibé de larmes.

J'en avais mal au ventre à autant pleurer. La respiration me manqua. Suffocante, je tâchai de reprendre mon souffle, tout en cherchant de mes pieds ma paire de pantoufles, et de mes yeux quelque chose de joyeux qui puisse me réconforter.

Je ne trouvai ni l'une, ni l'autre.

Pieds nus, je me mise debout. Quelques pas plus tard, dans le couloir qui menait à la salle de bain, et après avoir quelque peu titubé, je tombai à genoux.

J'en profitai pour vomir tout ce que j'avais, pourvu que cette tristesse s'en aille elle aussi.

Mais mes larmes continuèrent de pleuvoir sur le sol.

Lentement, je me recroquevillai sur moi-même. Pour pleurer. Pour me rassurer. Pour me calmer.

Je n'étais même pas sûre de savoir pourquoi je pleurais. Ce n'était pas seulement de la tristesse. C'était aussi de la peur. Peur que ce n'eusse pas été qu'un rêve. Peur qu'une part de vérité puisse s'y cacher. Peur de perdre tout ce que j'avais.

Je me remis à pleurer.

Que pouvais-je faire d'autre ? Demander de l'aide ? A qui ? Faire quelque chose ? Mais quoi ?

_Je... Je dois....

Le retrouver. Je devais en avoir le cœur net. Je devais savoir si...

N'y pensons pas.

Je ne devais retourner dormir. C'était la seule façon pour moi d'être sûre.

Une fois relativement calmée, je me réinstallai dans mon lit, pris mon oreiller humide, et le  changeai de côté.

Une fois. Deux. Trois. Quatre.

Je comptais le nombre de fois que je me retournais dans mon lit. L'angoisse avait maintenant pris le pas sur la tristesse.

Durant ce qui me parut une éternité, je cherchai le sommeil, en vain. Je sursautai.

Le téléphone sonnait.

_Qu'est-ce que... Oh non !

Et pourtant, si. J'avais totalement oublié l'heure. Je devais avoir quelque chose comme deux heures de retard.

Avant de décrocher, je m'assurai d'être assez convaincante, tout en évitant d'affoler ce que je devinai comme mon interlocutrice.

D'une voix très légèrement saccadée, qui camoufla mon anxiété pourtant horriblement présente, je répondis.

Au bout du fil, Inès qui, sans surprise, souhaitait savoir pourquoi je n'étais pas venue ce lundi. Je vis l'heure sur la pendulette de l'entrée. Il était une heure moins le quart.

Ainsi j'avais donc dormi.

Sans mal, je feintai la maladie. Elle fut apparemment assez convaincue. Trop, sûrement.

_Dès que Xavier a sa pause, je lui demande de venir te voir.

_Non, non... Ca va aller, Inès, je t'assure !

_Laisse-moi faire. Occupe-toi de bien te soigner !

Je raccrochai. Je ne souhaitais pas voir Xavier. Pas aujourd'hui. Pas pour ça.

La première fois, c'était aussi parce que j'allais mal que...

Bref, je n'avais pas envie de recommencer. D'autant que cette fois, c'était quelque chose de différent. Cela n'avait rien à voir avec une mauvaise rupture.

Je me remis dans mon lit. Cet appel m'avait permis de me rattacher à la réalité des choses. Sans pour autant voir mon anxiété disparaître, j'y voyais un peu plus clair.

J'allais rester dans mon lit, récupérer, et retourner au boulot demain.

Le temps de fermer les paupières, on toqua à la porte.

_Xavier... Grommelai-je.

Trop fatiguée, je préférai rester dans mon lit plutôt que de me risquer à ouvrir.

Le connaissant, inquiet, il m'aurait posé des tas de questions, m'aurait forcé à dire ce qu'il n'allait pas. Et puis m'aurait réconfortée. La bonne poire que j'étais n'aurait eu qu'à fondre en larmes et à se jeter dans ses bras.

Il appela plusieurs fois. Puis ce fut le silence. Tant mieux. Après une bonne nuit de sommeil, je serai requinquée. A moins que...

Et si je rêvais encore ? Une boule au ventre se forma presque aussitôt que j'eus formulé ma pensée.

Dans tous les cas, je devais dormir.

 

 

 

 


31/03/2007
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Call Of Nemesis : La Plume Rouge (Partie2/2)

 

Comme j'aurais voulu avoir tort. Comme j'aurais voulu que ce n'eût été qu'un rêve. Comme j'aurais souhaité que ces maudites plumes soient blanches comme la plus pure des neiges. Mais non. Seul l'écarlate avait désormais sa place ici.

Cette fois-ci, il se tenait debout, bien que sa blessure fût visiblement encore douloureuse pour lui.

Tant de questions me vinrent à l'esprit. Qui était-il ? Que voulait-il ? Comment cela se pouvait ? Tant de questions. Trop de questions.

_Pourquoi !? m'exclamai-je.

Voilà le seul mot qui était parvenu jusqu'à ma bouche.

_La réponse est devant toi, me dit-il, doucement.

Je détournai le regard de cet homme et contemplai le paysage rougeâtre.

_Je ne comprends pas !

Il me regarda, prenant tour à tour les apparences de Xavier, de Luis, puis de mon père, et ainsi de suite.

_Si tu ne comprends pas, c'est que tu n'as pas à comprendre.

Je soupirai d'impatience. D'anxiété, surtout.

Quelques plumes dans le ciel, blanches, volaient, aussi bien que si elles avaient appartenu à des oiseaux.

L'une d'elle se fit toucher par une goutte de sang. Elle tomba puis atterrit lourdement sur le sol, comme si...

_Mon Dieu...

Des larmes se mirent à couler le long de mes joues.

Je comprenais maintenant. C'était tellement évident. Depuis le départ, ça l'était.

Ce n'était pas un rêve. Pas plus que c'était un parterre de plume sous mes pieds.

Mon interlocuteur me délivrait ici un message.

Lui-même l'avait dit lors de nos précédentes rencontres. Cette plume venait de s'écraser comme morte sur le sol.

Pleine de sang, elle rejoignait au sol les milliards d'autres cadavres maculés.

Je portai ma main à la bouche, horrifiée. Mes yeux se fixèrent de nouveau sur lui.

Il acquiesça, plein de tristesse.

_Il approche... Le...

Un son au loin. Plus rien.

Encore un son. Plus rien.

 

 

 

J'ouvris les yeux, réveillée par le téléphone. Je ne pleurais pas. A quoi bon.

_Allo ? questionnai-je, la voix ensommeillée.

_Allo, Alessandra ? C'est maman ! J'ai reçu un coup de fil de Xavier qui nous a dit que tu n'allais pas bien.

_Tout va bien, maman. Je t'assure. J'ai juste eu une grippe.

Je devinai de son silence qu'elle était inquiète.

Quelques phrases, pour la rassurer ; un « je t'aime Â» et un « embrasses papa pour moi Â» suffirent à la faire raccrocher.

Je posai le téléphone, sans le quitter des yeux. Ainsi j'avais saisi ce qu'il voulait me dire.

Mais pourquoi me l'avoir dit à moi ?

Peut être voulait-il que j'agisse pour changer les choses... Ou pire, que je survive aux miens.

Quoi qu'il en fut, le message n'était pas complet. Je devais le retrouver, une dernière fois.

Cinq minutes. Voilà le temps qu'il me fallut pour atteindre la pharmacie.

Je sortis de là, les larmes aux yeux. Je venais de mentir à une amie d'enfance en prétextant une insomnie.

Chez moi, je posai tout en vrac, sans faire attention. Une boîte. J'en aurais bien demandé deux. Mais cela aurait été de trop.

Un verre d'eau plus tard, deux cachets étaient en train de se dissoudre dans mon corps. Normalement, il en fallait un seul, disait la boîte. Mais cette foutue boîte ne précisait pas ce qu'il fallait faire dans mon cas précis. Je me couchai, tout doucement.

Il me dirait quoi faire. Et rien ne me réveillerait cette fois.



Chapitre 3 : Les condamnés

 

 

Etait-il Dieu ? Et si je n'étais pas la seule à recevoir le message ?

L'instant hypnagogique ne dura pas.

Bientôt, s'offrirent à moi le paysage sanglant et ces corps maculés que j'avais appris à connaître.

L'homme semblait différent. Il prenait toujours depuis la dernière fois les apparences des gens que je connaissais, mais là, il était plus... Expressif.

_Tu dois partir. Quitte ceux que tu aimes, ta vie, ta maison. Quitte-les et maintenant.

Surprise, je lui demandai des explications.

_Il m'a retrouvé. Ce n'est qu'une question de minute avant que...

Il sembla distrait, quelques instants. J'étais abasourdie, incapable de bouger. Où aller ?

Il se reconcentra sur moi.

_Fuis ! Tu dois fuir, maintenant ! S'il m'a retrouvé, c'est qu'il sait probablement où tu te trouves !

Un fracas monstrueux. Un instant, la plaine vacilla, et forma une pièce de moyenne taille, puis revînt à son état d'origine.

Il se tourna vers moi. Son visage était redevenu calme et serein.

_N'oublie pas ce que je t'ai dit. Sauve-toi de ta vie.

Avant que je n'eus le temps de dire quoi que ce soit, une masse bleue énorme apparut. D'une rapidité fulgurante, elle se jeta sur l'homme qui hurla de douleur et disparut de ma vue.

A présent, seule la bête devant moi était visible.

Ses longs poils épais noirs étaient inclinés. J'avais devant moi une horreur à mi-chemin entre le loup-garou et l'araignée.

Ses quatre yeux jaunes regardèrent dans ma direction.

Terrifiée, je fis quelques pas en arrière. Je perdis l'équilibre. Ma vue se brouilla très vite.

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Un bruit sourd. Une douleur. J'étais tombée du lit. Je regardai autour de moi, prête à voir cette immonde créature.

Comme si elle avait pu tenir dans la chambre.

Du sang sur mon pyjama. Je saignais du nez.

La peur au ventre, les yeux vitreux, je courus à la salle de bain voir ma blessure.

Entre temps, en passant devant la porte d'entrée, je vis au travers de ses carreaux qu'il ne faisait pas encore jour.

Je pris un morceau de coton, l'imbibai de désinfectant, puis je m'en servis. J'avais cette impression de ne pas voir son propre reflet dans la glace. Je me sentis différente de celle que je voyais en face de moi.

Etrangement, l'alcool ne piquait pas. Je me demandais si c'était vraiment une blessure, lorsque je me souvins de ce qu'il m'avait dit.

_Partir !

En courant dans la chambre, je pris une valise. J'y enfournai mes affaires.

Un temps de latence.

Et les autres ? Ma famille ? Mes amis ?

Xavier.

J'irai chez lui, en premier, puis nous prendrions sa voiture pour aller à Barcelone. Oui. C'était une bonne idée.

Ma valise fut très vite prête, à grands renforts d'entassements d'affaires et de nourritures.

La bouche encore pâteuse, je me précipitai dans la salle de bain. La brosse à dent dans la bouche, je me posai la question de comment j'allai convaincre Xavier.

Aucune importance. Je verrai.

Je crachai dans le lavabo, posai la brosse à dent, puis relevai la tête. Je regardai mon reflet, quelques instants, tourmentée de questions. Je m'apprêtai à quitter ma maison, en pleine nuit, pour fuir, où que ce fût. C'était dément. Aussi dément que de voir mon propre reflet tenir la brosse à dent que je venais de poser.

Je fis un pas en arrière. Il se jeta sur moi. Je sortis de la salle de bain sans voir s'il traverserait le miroir.

Deux mètres plus tard, j'étais à l'entrée. A côté de la porte, la valise prête.

J'arrachai cette dernière du sol tandis que j'ouvrais la porte. Un frisson me parcourut le dos.

Un homme marchait dans le jardin, lentement.

Les images qui suivirent arrivèrent si vite. Le frisson étendit son emprise sur l'ensemble de mon corps. Il me sembla tantôt à la grille, tantôt juste devant moi, le visage décomposé, transformé.

La valise tomba sur le sol. Je claquai la porte en quittant l'entrée.

A l'intérieur, j'esquivai en fuyant les horreurs qui s'attaquèrent à moi. Des ombres dans le salon, un visage horrible à la fenêtre. Le mur parut se déformer à mon passage. J'hurlai.

D'autres cris vinrent sans que je n'eusse besoin de les pousser. Des cris horribles, de terreur.

Il me sembla qu'il était juste derrière moi, prêt à m'attraper.

Dans la chambre du fonds, j'ouvris la fenêtre. J'étais persuadée de l'avoir dans mon dos, tandis qu'une présence au-dessus de moi me tétanisa un court instant. Ils seraient derrière la fenêtre. Je m'attendis d'une seconde à l'autre à revoir le visage décomposé.

Je fermai les yeux et sautai.

La douleur de la chute permit un court instant de les oublier eux, et ces cris. Des sons de verres brisés retentirent dans la maison. J'enjambai le muret du voisin et courus le plus loin possible devant moi, sans avoir ni le temps ni le souffle pour hurler à l'aide.

De moins en moins de ces choses s'attaquèrent à moi, au fur et à mesure que mes jambes m'emportaient au loin dans le village assombri.

Je courus jusqu'à ce qu'elles perdent définitivement ma trace, jusqu'à n'en plus pouvoir.

Je tombai à genoux dans l'une des maisons en construction.

La lumière des lampadaires passait par les encadrements prévus pour la porte d'entrée et les fenêtres.

Le calme de la nuit était apaisant. Aucune présence. Aucun bruit. Aucune peur.

La fatigue me submergea de telle façon que je ne sentis bientôt plus la douleur qui m'assaillait.

_Un cauchemar, chuchotai-je, à bout de souffle.

C'était un véritable cauchemar. Je ne pouvais pas être réveillée et vraiment vivre ces choses. Comment mes rêves pouvaient être plus convaincants de réalisme que les évènements que j'étais en train de vivre ? Cet être qui me poursuivait était-il celui dont l'homme du rêve m'avait mise en garde ?

Un courant d'air. Un frisson.

J'entendis un homme parler d'une voix calme, dans un langage incompréhensif.

Apeurée, j'en cherchai sans succès l'origine. La voix devint plus forte, comme si la colère, puis l'hystérie avait gagné l'homme. Il hurlait, crachait ses mots sur moi, me massacrait les tympans.

_Quantus tremor est futurus, quando judex est venturus, cuncta stricte discussurus !

D'un mouvement de tête, j'aperçus un visage aux cheveux ébouriffés par l'encadrement de la fenêtre. Mes yeux revinrent sur cet endroit, et tombèrent nez à nez avec cette tête terrifiante.

Je m'en écartai, pour tomber sur une chose informe au plafond. Bientôt, je fus encerclée, par les hurlements, par ces créatures tournoyantes, piquant sur moi...

Je fermai les yeux, bouchai mes oreilles.

_Assez ! sanglotai-je.

J'en avais assez de tout ça. Assez de rêver, assez de voir ma vie partir en fumée.

Je sentis une présence derrière moi, quelque chose de moins mobile que tout ce qui m'entourait jusqu'alors.

D'une façon ou d'une autre, ce cauchemar allait se terminer.

Je me voyais déjà, me réveiller le matin dans les couvertures chaudes de mon lit, me dire que j'avais seulement fait un mauvais rêve.

Une main froide se mit sur ma bouche. Sans ouvrir les yeux, je la laissai faire et m'abandonnai à qui m'attaquait. Cela n'avait plus d'importance, que je me réveille ou pas.

Un objet pointu me piqua au cou, puis se fraya un chemin à travers la carotide.

La douleur fut brève. Mes vêtements devinrent rapidement humides.

La main relâcha son emprise, laissant mon corps tomber lentement. Très lentement.

Moi qui souhaitais la paix, je ne fus pas déçue.

Ma chute dura une éternité.

J'étais si légère. Si bien. 

J'étais devenue la plume rouge du cauchemar de l'Humanité.

La première maculée, celle qui tacherai toutes les autres.

 


31/03/2007
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Call Of Nemesis : L'ombre De La Bête (Partie1/2)

Call Of Nemesis :

L'Ombre De La Bête



Copyright 2007 Thomas Carnicer




Chapitre 1 : Sortie de route



 

 

 

 

 

 

_Arrête le gyro, Guigui, on y est. Tu peux te garer là.

_Oh Putain, y a eu de la casse !

Guillaume coupa le contact, mais aucun de nous bougea. On restait dans la voiture, comme deux cons. On avait carrément pas envie de sortir de la bagnole pour aller voir l'carnage.

Un mec s'amena vers la portière conducteur.

_Salut, les gars. Désolé qu'on ait du vous appeler, mais on avait besoin de renfort.

Guigui tourna la tête vers moi, l'air dégoûté.

_Salut, Pierre. Bon ben on y va…  Prends l'appareil photo, Didier.

En un mouvement, je pris l'appareil et sorti de la voiture. J'avais le cœur qui battait la chamade. Fallait vraiment que j'sois appelé ce soir pour un crash de bagnole.

« Bordel. Â» 

Le collègue qui était venu nous chercher se retourna en marchant.

_Ils étaient trois. Les parents et leur fils. Ils ont du être percutés de plein fouet par un camion, parce que l'avant du véhicule est arraché. C'est le couple de personnes âgées là-bas qui les a trouvés. On a seulement eu le temps de passer l'appel radio et de sécuriser les lieux.

En parlant, on s'approchait. On pouvait voir dans le champ à côté de la départementale la carcasse en deux parties, avec des pompiers et une scie circulaire sur l'une des deux.

_Vous découpez ? Y'a un survivant ? demanda Guigui.

_Oui, le gosse est encore en vie. On essaie de le sortir de là depuis quelques minutes. Il a des morceaux du toit coincés dans la poitrine.

Je soufflai. Vu que j'me coltinais l'appareil photo, c'était à moi de m'approcher. De loin, je vis les corps éclatés des parents, à l'avant.

_La vache… souffla Guigui.

Au moins, j'étais pas le seul à pas supporter.

« Et encore heureux que les pompiers s'en occupent. Â»

_J'sais pas si j'aurais supporté de découvrir ça.

Guigui fit signe de la tête qu'il était d'accord avec moi. C'était à lui de faire les croquis pour le dossier. Il poussa un soupir. Je jetai un regard vite fait sur la route. Des traces de pneus. Le véhicule avait sûrement freiné d'un coup.

Un truc m'étonna. Les traces de pneus allaient pas jusqu'au champ. Elles s'arrêtaient trois, quatre mètres avant. A deux endroits, juste devant où elles finissaient, le béton était éclaté.

J'savais pas c'qui pouvait faire ça, mais j'pensai à un camion grue. C'était assez balèze pour ouvrir comme ça une bagnole et ses pieds étaient lourds au point d'endommager le bitume.

_Pierre, va voir les vieux, prend leur témoignage. Dis à Justine de s'occuper de la circulation.

_Oui mon adjudant.

Deux pompiers étaient assis loin de la carcasse, l'un des deux la tête entre les genoux, son gerbis encore frais pratiquement sur ses godasses.

_Pourquoi est-ce qu'on a pas prévenu la dépanneuse ?

_Ben parce que c'est aux flics de le faire ! Sinon, ils peuvent pas faire leurs photos !

Pauv' gamins. Ils devaient avoir quelque chose comme dix-huit ans et ils se tapaient déjà des trucs comme ça. Fallait en avoir, du courage.

A peine j'avais l'appareil dans les mains qu'ils avaient sorti le gosse de l'arrière. Je le vis sur le brancard, la tête couverte de sang. Il gémissait. Ses yeux bleus se posèrent sur moi.

« Ce regard… Â»

Un peu sonné, je pris les photos. Je regardais la scène que par l'écran du numérique.

Pas question de voir ça de mes propres yeux.

Voilà. J'avais plus qu'à prendre les parents.

_Métier de con...

En remontant sur la route, je pris aussi l'endroit où le béton avait pété.

Quand la dépanneuse arriva, les pompiers étaient partis.

Tout c'qu'il restait d'eux, c'était le vomi du gamin. L'ambulance s'amena un peu plus tard, juste le temps que le chauffeur de la dépanneuse gueule qu'il avait autre chose à foutre.

Sur le capot de la voiture, Guigui s'avançait pour le dossier. On en avait déjà une cinquantaine comme celui-là à faire.

_T'as fini, monsieur l'adjudant ?

Il parlait au gars qui s'appelait Pierre. Je savais pas bien d'où il le connaissait, mais Guillaume avait toujours le contact facile.

_Ben écoute, j'ai fais les croquis, Pierre s'est occupé de prendre tous les noms, y compris des secours…

Il me passa une carte d'identité. C'était celle du gosse. Nataniel Vidal. Dix-neuf ans. Français.

_… Je crois qu'on a tout fait, reprit Guigui. Par contre, on la garde, la bagnole. Elle partira pas tout de suite à la casse.

Il regarda les marques sur la route. Clair qu'elle était pas sortie toute seule.

_Peut être que c'est un camion grue qui l'a chopée, leur dis-je.

_Je ne crois pas, non, répondit Pierre. Regarde bien. Le véhicule allait tout droit d'après les empreintes de pneu. Ou alors la grue serait arrivée en coupant la route, par le champ d'en face.

Clair que c'était pas possible. Mais ils avaient coupé la voiture en deux comment ?

Guillaume supposa que les traces de pneu qu'on voyait sur la route n'étaient pas celles de la voiture, mais d'un autre véhicule qui aurait assisté à la scène.

Pierre et moi on était d'accord avec cette possibilité, surtout qu'on voyait pas vraiment ce qui aurait pu se passer d'autre. Les ambulanciers remontèrent les corps dans leur camion. L'un d'eux nous apporta les cartes d'identité des parents. Ca allait pas servir à grand chose, vu qu'on avait celle du gamin, mais si ça leur f'sait plaisir… Guillaume prit les deux cartes dans les mains. Il me regarda, les yeux gros comme des soucoupes, me prit des mains la carte et mis les trois sur le capot.

_Bah merde alors !

Aucune des trois cartes ne portait le même nom de famille. Non seulement ça, mais les « parents Â» étaient pas français. L'homme était armenien et la femme, coréenne.

On se r'gardait tous, sans capter. Guillaume décida d'aller visiter la maison des Vidal.

Il ordonna à Pierre et à sa p'tite gendarmette de réguler la circulation jusqu'à ce que la dépaneuse et l'ambulance soient partis.

_Aller, faut se dépêcher là.

 

 

 

La sirène hurla tout le trajet. Ils habitaient un bled à bourges en pleine colline  –évidemment de l'autre côté de l'Isle sur Sorgue- sûrement dans une maison isolée avec pour seul voisinage d'la verdure, trois platanes et un c'risier.

Lorsqu'on arriva au domicile, le portail était défoncé de l'intérieur. Une partie traînait carémment au milieu d'la route, à peine éclairée par quelques lampadaires. Sans attendre que Guigui me   l'demande, je pris la radio et appelai du renfort. C'était bien c'que j'croyais : une baraque sans voisinage entourée de végétation. Le genre à peine flippant. La vue était cachée par les arbres de devant la maison, mais on voyait clairement des lumières bouger à l'intérieur.

_On va jeter un coup d'œil maintenant, décida Guigui. Il est peut être arrivé un truc aux vrais parents.

On s'dirigea tous les deux rapidement vers la porte d'entrée, elle aussi défoncée. Mieux valait qu'on y aille à deux, parce que j'me voyais pas entrer là dedans tout seul. Du jardin, j'avais pas vu grand chose, à part le tronc du fameux platane. La porte était tellement explosée qu'un coup de bélier aurait pas fait mieux.

Dedans, c'était Beyrouth. Les meubles avaient été fracassés, la table du salon était en lambeau.

Il y avait des bouts de bois partout, jusqu'au plafond où y'en avait qui étaient plantés.

Il y en avait surtout dans des cartons. La famille avait du enménager depuis peu.

Guillaume me montra c'qui restait de la lampe du salon. Elle se balançait encore.

Nous sortîmes nos armes de nos étuis.

« Putain. Quelle soirée de con. Une maison à trois niveaux en plus. Â»

J'étais même pas sûr d'entendre si quelqu'un arrivait ou pas dans mon dos tellement mon cœur faisait de bruit. Le salon à demi éclairé donnait sur une cuisine ouverte, pratiquement plongée dans le noir. J'entendis quelqu'un marcher dans une flaque. C'était moi. Je soulevai le pied, et l'éclairai de ma lampe-torche.

« De l'eau !? Â»

Il y en avait partout dans la cuisine. A certains endroits, on pouvait voir des morceaux de glace   â€“stalactites ou stalagmites, c'que j'en savais moi- qui pendaient le long des placards.

Il s'était passé quoi ici ?

_Gendarmerie nationale ! S'il y a quelqu'un, je vous demande de bien vouloir vous montrer ! hurla Guillaume.

Je soufflai. C'était con de hurler comme ça, mais y'avait pas le choix. On n'pouvait pas s'permettre d'entrer comme ça chez n'importe qui.

Aucun bruit dans la maison. Aucun bruit, mis à part le boucan de nos deux respirations. Aucun…

Si ! Un bruit de meuble déplacé au premier !

_Didier ! En haut !

On entendit un grognement, puis quelque chose courrir. Je grimpai quatre à quatre les marches, tout en couvrant mon adjudant. Une fenêtre explosa.

Le temps qu'on arrive dans la pièce noire, on entendait « galoper Â» dans le jardin.

Guillaume reprit son souffle et alerta par radio qu'un suspect était en fuite alors que je cherchai l'interrupteur. J'ai vite regretté de l'avoir trouvé.

_Oooh putain ! cria guillaume.

C'était la chambre à coucher des parents. Le lit était éventré. Eux aussi.

Ils avaient les yeux grands ouverts, droit vers le plafond, avec une expression de douleur ancrée sur leurs visages. Un seul des murs était couvert de sang, comme si on les avait éventrés tous les deux d'un seul coup. Le drap déchiqueté montrait partiellement les corps. Mais on en avait assez vu. On quitta la pièce, l'estomac noué. Le temps de reprendre nos esprits, et on était de nouveau à la r'cherche de suspects. Pour le moment, fallait être concentré sur c'qu'on faisait.

De pièces en pièces, y'avait que des traces de lutte.

« Putain ! Qu'est-ce que… Â»

Nos lampes-torche s'arrêtèrent sur un mur de couloir. Le papier peint beige –à chier- pendait de partout. On trouvait des coups de griffe énormes, à quatre entailles, chacune séparée d'une dizaine de centimètres de l'autre. Certaines d'entre elles partaient du plafond pour aller mourir au sol. D'autres étaient si courtes qu'elles ressemblaient en comparaison à des érafflures.

Avec Guillaume, on s'regarda, paniqués. Les marques menaient à une pièce au bout du couloir.

Une odeur d'ordures venait de derrière la porte. Guillaume l'éclaira et vit une flaque de sang qui venait de l'intérieur.

Nos deux respirations faisaient un de ces bastringues que ça en dev'nait presque dangeureux pour nous.

Je tournai la poignée et lui fis signe. Il déboula dans la pièce, avant d'en sortir en gerbant.

Je compris pourquoi quand je vis ce qu'il avait vu. La chambre était pleine de sang, des pieds du lit jusqu'au plafond. Des relents de pourriture en sortaient. Mais aucun corps.

On entendit une sirène de chez nous. Pas trop tôt. Le temps de descendre les rejoindre en titubant, ils avaient fait le tour du proprio et l'avaient sécurisé.

« Rapide, ces jeunes. Â»

_Mon adjudant... Il le salua. Alors, il y a quoi dans la maison ?

_T'as pas envie de savoir…

Je haussai les épaules en r'gardant le gars. Fallait pas qu'il se vexe, mais après une soirée de chiottes comme ça, c'était normal qu'on soit pas franch'ment d'humeur à taper la discute.

Une autre voiture arriva. C'était Pierre et… L'autre.

Ils nous demandèrent exactement la même chose que les jeunes d'avant. Cette fois-ci, notre adjudant fit l'effort de répondre.

Une fois son briefing terminé, les jeunots n'en menaient plus large.

_J'ai appelé le central, dit Pierre. Ils font la recherche pour savoir si nos deux étrangers étaient fichés. Les gars ont trouvé dans le coffre le sac à dos du jeune homme.

J'ai un peu fouillé, comme ça…

_T'as pris des gants ? interrompu un des jeunes.

_Non, je tripote toujours tout avec des mains dégueulasses. Comme ça, j'efface le peu de preuves qu'on peut avoir… Donc pour en revenir au sac, son agenda n'a qu'un seul numéro de téléphone, au nom de Thomas… Garnier. Non, Carnicer.

_Bon, vous restez là et vous attendez « les experts Â». On a plus grand chose à faire là. On va continuer les recherches à la gendarmerie.

P'taint, ça f'sait du bien. Une unité spécialisée allait prendre le relais. On était tranquille.

C'était l'avantage d'avoir un adjudant. Quand l'commandant était pas là, j'étais quasiment sûr d'être pénard. Là, on échapait à une enquête sur les lieux d'un homicide… On en aurait eu pour le samedi entier. Je soufflai en penchant la tête vers le sol. Les dalles étaient éclatées à deux endroits, exactement comme l'était le béton de la D31.

Je montrai aux collègues c'que j'avais vu. Guillaume me r'garda bizarrement. Il voulait peut être pas que je parle du machin qui avait galopé devant les autres. Toute façon, ça avait l'air d'une mise en scène tout ça. Mais j'comprenais qu'c'était pas utile de les faire baliser davantage.

 

 

 

_Alors t'en penses quoi de cette merde ? demanda guillaume alors qu'on était dans la voiture, en route pour la gendarmerie.

On avait rempli tout ce qu'il fallait en signalant la fuite du suspect, la découverte des deux cadavres…

Par contre, on avait pas attendu l'autre unité. Le commandant tenait tellement à avoir des pros du crime que ceux qu'il y avait placé s'sentaient vraiment plus pisser.

« Qu'ils se démerdent avec la baraque. Â»

_J'en pense que le couple de clandestin a tué les parents, chopé le gosse. Ils ont maquillé la maison, et se sont barrés. Mais en chemin, ils ont eu un problème et la voiture a foutu le camp.

Guillaume éclata de rire. Apparemment, c'était pas ce qu'il attendait.

_J'suis pas sûr que ça tient debout ce que tu me dis. Où ils ont trouvé le temps d'éclater la maison ? Comment ça se fait que personne ne les aient entendus ? Comment t'expliques tout le sang, et les coups de griffe ? Avec le machin qui a éclaté la fenêtre et le béton ?

Je lui répondis que vu que la maison était sur la coline de Saint Antoine, elle était assez isolée, que donc ils avaient pu prendre leur temps pour tout maquiller, j'savais pas pourquoi.

Et de toute façon, le truc qui avait sauté par la fenêtre n'avait pas pu être en même temps sur la D31 pour choper la bagnole et à la maison des Vidal pour tuer les parents.

_A moins qu'ils étaient plusieurs. Peut être qu'ils appartiennent… J'sais pas, à une secte ou à un truc de terroristes… J'connais des gars, Ã  seulement dix ils te mettent la misère à une maison comme ça !

« Le coup de la glace plein la cuisine, c'était quand même fort… Â»

_Et ils te foutent des coup de griffe plein la maison aussi ? En plus… J'crois en avoir déjà vu…

Il quittait pas la route des yeux. J'savais bien qu'il était inquiet. Il était p'tet pas super courageux –et encore, déjà plus que moi- mais quitter une scène de crime si vite, ça, il l'avait encore jamais fait. Adjudant, il l'était parce qu'il savait s'faire respecter, mais surtout parce qu'il savait réfléchir. S'il avait pas changé déjà deux fois de caserne, il aurait déjà eu son grade d'adjudant-chef. Et là, que lui parte en délire comme ça, j'devais avouer qu'ça foutait vraiment les boules. Mais ça comptait pas d'avoir peur. Pas avec ce métier, pas avec cette promesse que j'devais tenir.

_Où t'as pu voir ça ?


Chapitre 2 : La piste

 

 

 

 

 

 

_Là ! Je savais bien que je l'avais vu quelque part ! dit-il, une fois de retour.

Il jeta depuis son bureau un journal qui atterri sur le mien et manqua de peu la tasse de café.

Sur la première page de couv', une photo dans un encart avec les mêmes griffures au mur.

Je tournai rapidement les pages.

L'évènement avait eu lieu à Marseille, il y avait eu un mort, complètement déchiqueté.

La gendarmerie n'avait pas voulu fournir de commentaire. Donc on était pas plus avancés.

« A moins que… Â»

_Oh, Guigui ! J'connais un gars qui bosse à Marseille ! J'vais les appeler, voir si on peut pas avoir le dossier !

Il semblait d'accord avec l'idée, même si je voyais bien qu'il encaissait encore moins que moi la soirée. Il fit semblant d'être en forme, et dit qu'il allait voir pour les deux étrangers.

« Ils pourraient quand même changer de musique de temps en temps. Â»

Durant quinze bonnes minutes, j'me farcis du Mozart –ou Vivaldi- en boucle au téléphone. Quinze longues minutes durant lesquelles je fis un p'tit sudoku.

J'allais placer le neuf lorsqu'une voix me dérangea.

_Oui bonjour, Didier Malenfant, de la gendarmerie de l'Isle sur la sorgue. Pourais-je parler à l'adjudant-chef Samir Galiba ?

La voix me répondit qu'il était de jour cette semaine.

« Evidemment. C'est jamais simple, faut toujours faire dans le compliqué. Â»

_On a un double, voire quadruple homicide sur les bras, et ça ressemble à cette affaire de la semaine dernière... On aurait besoin du dossier... Oui, je sais bien que vous avez rien bouclé, mais c'est pour avoir des éléments, parce que… Oui, je patiente.

Et encore cette foutue musique!

Je me rendis compte que j'avais deux quatre sur la même ligne dans ma grille, lorsque la voix reprit le téléphone. Elle m'explica comment suivre les procédures afin d'obtenir des informations sur une affaire en cours.

_…Merci, oui, j'les connais les procédures… Mais parce qu'on a un suspect en fuite !

Je portai la main à mon visage et me frottai les yeux. Guillaume arriva et me prit le combiné.

_Je suis l'adjudant Guillaume Tourin… Oui… Et vous, vous êtes ?

Il passa dix bonnes minutes avec la connasse à l'aut' bout du fil, pour finalement raccrocher.

Il se tourna vers moi, et me demanda de surveiller le fax et de vérifier les casiers des Vidal tandis qu'il allait reprendre ses recherches sur les faux parents.

En quelques clics, j'avais fait ma part. Rien au casier, une contravention de stationnement interdit pour le père.

« Mais alors, qu'est-ce que cette famille vient foutre là dedans ? Â»

Le fax bipa. Une feuille, puis deux, trois et ainsi d'suite, s'entassèrent. Le tout en main, je le feuilletai rapidement. On y trouvai principalement des photos du lieu du crime, et quelques notes.

C'était exactement les mêmes marques, si c'n'était qu'elles avaient été bien plus importantes là-bas.

Si chez les Vidal, la porte avait été défoncée, ici le mur qui avait complètement sauté.

Je tendis les photos à mon adjudant. Les collègues de Marseille n'avaient encore rien conclu, mais les notes indiquaient une piste qui menait jusqu'en Chine…

_En chine !? Mais c'est quoi ce foutoir à la fin !? Il s'affala dans son fauteuil et se frotta les yeux. Alors maintenant, notre accident de voiture est lié à un double homicide, lui-même lié à un simple homicide, lui-même lié à une écatombe en pleine frontière chinoise ! Bon, je dis à Pierre de rien toucher, on attendra le commandant… Pour ce qui est des deux clandestins, ils sont tous les deux portés disparus dans chacun de leurs pays. Mais aucun n'est fiché…

Il soupira. On était tous les deux crevés. Je regardai ma montre. Sept heures moins le quart. Depuis hier, vingt-trois heures, on était là à se casser l'cul.

_Va dormir un coup, ordonna Guigui. Tout à l'heure, tu iras voir le pote de Vidal fils. Il nous renseignera peut être un peu plus sur Nataniel et sa famille.

J'obéis, à bout de force, et j'allai m'allonger dans un coin pénard.

 

 

 

 

_Debout là dedans ! C'est l'heure !

_Qu'est-ce que… Vache, t'abuses, j'ai à peine fermé les yeux que…

Inutile pour moi de terminer ma phrase.

Non seulement on m'avait laissé dormir deux heures, mais en plus, c'était le commandant devant moi. Je le saluai immédiatement.

Il me rendit le salut, et me demanda un bref récapitulatif de la situation. J'hésitai quelques secondes, ne sachant pas vraiment par où commencer…

Par le massacre de gardes chinois à un poste-frontière, l'homicide monstrueux à Marseille, les morts chez nous, l'accident… Tout se mélangea très vite dans ma tête endormie. 

_C'est vraiment le bordel, commandant.

_C'est effectivement un bref résumé, Malenfant, mais j'attends quand même un peu plus…

Je lui racontai tout dans l'ordre où ça c'était passé. Il resta silencieux quelques secondes, signe que c'était vraiment un bronx cette fois.

Au bout d'un moment, il demanda à Guillaume où était le nouveau. Guigui gueula pour savoir où était Pierre.

« C'est pour ça que j'le connaissais pas ! Â»

Le jeune arriva et salua le commandant, qui lui demanda de m'accompagner pour aller voir Thomas.

_Allons, Pierre, vous vous exprimez très bien ! Il n'y a pas de raison pour que vous y échappiez !

« Ca va me changer de l'autre tarbouif d'adjudant ! Â»

Je souris, alors qu'on se préparait à y aller.

 

 

 

Vu que j'avais pioncé, Pierre me tînt au courant de c'qui c'était passé durant deux heures.

Ils avaient récupéré le coeur chez le père pour le greffer sur le fils. Les marques de pneu laissées sur la route étaient bien celles de la voiture des Vidal.

Samir avait rappelé et c'était Guigui qui l'avait eu au téléphone. Apparemment, la victime à Marseille était pas française non plus. Mais elle avait aucun lien avec la Chine

_Laisses-moi deviner… Il était armenien. Ou coréen !

_Raté ! ria Pierre. Il était colombien.

J'en pouvais plus de tous ces étrangers qui venaient crever pratiquement d'vant la caserne.

Pas un n'avait la même nationalité. Aucun n'était lié à l'autre. Le seul élément déterminant, c'était les griffures. Et encore. Elles variaient de taille selon les lieux.

Mais ça m'faisait flipper quand même d'enquêter sur ce genre d'trucs bizarres. Le surnaturel, c'était vraiment pas mon truc.

Mais faire mon boulot, ça, ça l'était. Et même si j'me chiais dessus, je le ferais.

J'l'avais promis à Lise.

Pierre me confia que la D.S.T. avait carémment envoyé quelqu'un pour Marseille.

_Alors c'est p't'être vrai tout ça. Si la direction de surveillance du territoire s'interesse à ça, on court peut être après une espèce de monstre sorti d'un labo planqué je n'sais où.

_Je ne pense pas qu'il y ait quoique ce soit de fantastique dans cette affaire. J'imagine par contre un groupe extrêmement organisé qui est capable de mener en bateau des forces de l'ordre. N'importe qui ne peut pas faire ce qu'ils ont fait à Saint Antoine, ou à Marseille. On a affaire à des professionnels qui ont le sens de la mise en scène.

« C'est vrai qu'il parle bien… Â»

Il avait sûrement raison. Si la D.S.T. y était, peut être que l'un des parents cachait quelque chose qui le liait à ces clandestins.

 


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14/08/2007
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Call Of Nemesis : L'ombre De La Bête (Partie2/2)

La porte s’entrouvrit sur une femme apparemment très inquiète de nous voir.

Elle avait déjà les larmes aux yeux lorsqu’elle appela son mari. Ce dernier descendu du premier, et nous proposa de nous asseoir.

Pierre prit la parole, et nous présenta. A peine avait-il fini sa phrase que la mère était déjà en sanglots. J’avais jamais vu ça. Le jeunot non plus apparemment.

Le mari prit une boîte de mouchoir et la posa sur la table. Elle en prit une pleine poignée.

_C’est au sujet de ce Nataniel et de mon fils ? demanda le père. De l’altercation qu’ils ont eue entre eux hier soir ?

_Quand a-t-elle eu lieu, cette altercation ?

Le père nous expliqua que ce matin, ils avaient reçu un coup de fil du proviseur du lycée Alphonse Benoît. Leur fils et Nataniel s’étaient battus après la pièce de théâtre, où ma Claire jouait, laissant leur fils pratiquement inconscient. Nataniel avait disparu sans laisser de trace.

_Ça s’est passé vers… onze heures du soir.

« Impossible… Â»

Un frisson me parcouru le dos, comme une décharge électrique. J’en avais les yeux qui piquaient. Foutue affaire. J’devais vraiment avoir la guigne pour chopper un foutoir pareil.

Pierre lui demanda s’il était sûr. Evidémment qu’il l’était. Sinon, ça n’aurait pas été marrant.

J’ouvris le dossier de photos et les fis glisser. Ils purent voir les parents, le fils, et ses kidnappeurs.

Ils ne reconnurent même pas Nataniel.

_Mon fils devrait bientôt se lever. Si cela ne vous dérange pas, ce serait préférable de ne pas trop lui en dire d’un coup…

Je rassurai les parents sans que la mère s’arrête de pleurer.

« Si ça continue, moi aussi j’vais m’mettre à chialer. Â»

Des bruits de pas dans l’escalier. Le gamin descendit, la gueule pleine de bleus.

Il semblait pas être surpris d’nous voir. Il nous salua, fit la bise à ses parents et s’assit.

Après un blanc, Pierre explica l’accident au petit, sans lui parler de l’histoire des clandestins.

Fallait d’abord savoir s’il serait surpris qu’on lui dise que celui qui lui avait cassé la gueule avait eu en fait le soir même un accident.

Heureusement pour lui, ça l’étonna encore plus que nous. Il n’était donc pas au courant de c’que faisait son pote et ses parents.

Quand Pierre eut fini, le gamin resta sans voix.

Il posa quelques questions, notamment sur l’accident en lui-même. Puis il en vînt au sujet que je redoutais : l’état de son ami.

_L’enquête va se poursuivre, continua Pierre, dans le but de déterminer les causes exactes de l’accident. En attendant, nous faisons, par mesure de sécurité, garder la chambre de Nataniel.

_Et vous… Dites qu’il est en attente de greffe?

Je pris la parole. Pierrot en avait fait assez. J’m’adressai à la famille entière, pour pas subir le regard du gosse.

_Il faut que vous sachiez que l’accident a été extrêmement violent… Son cœur a été, de même que d’autres organes, endommagé... Par chance, nous avons pu…

Je jettai un coup d’œil sur mon collègue, qui était plongé dans ses papiers.

_Ses parents étaient donneurs d’organes. La greffe aura lieu demain… Les médecins ne veulent pas se prononcer pour l’instant.

La mère pleurait toutes les larmes de son corps, sans doute plus du fait que son fils était mêlé à ça que parce qu’une famille avait été détruite.

Le gamin ne réagissait plus. Le père faisait c’qu’il pouvait pour rassurer les deux.

Je fis signe à Pierre. Fallait qu’on parte. On avait plus rien à faire ici.

Aucun de nous ne parla durant le trajet du retour. De temps en temps, Pierre se frottait les yeux, comme s’il devait avoir honte d’être touché par les sentiments des autres.

Je regardai le paysage défiler. La journée était terminée. J’étais enfin en week end.

 

 

 

 

 

 

Chapitre 3 : Embranchements

 

 

 

 

 

 

Je fermai la porte de la maison, doucement. Quelques pas plus tard, dans la cuisine, je pris Lise par les hanches, et la serrait fort contre moi.

_Ouh… Toi, tu as eu une mauvaise nuit ! Tu me racontes ?

_Après manger, si ça t’dérange pas !

Un moment de silence. Elle savait quelle question j’allais lui poser.

C’était toujours aussi gênant pour nous, même après dix-neufs ans de mariage.

_Et… Comment s’est passée la pièce de Claire hier soir ?

_Ah, ta fille était magnifique dans son costume ! Même pour moi qui n’aime pas le théâtre, c’était vraiment bien. Ils avaient aménagé la cour intérieure du lycée… Bien organisé...

Elle accompagnait comme chaque fois ses commentaires de mouvements de tête. Mais à chaque fois, son regard me le disait, malgré elle :

« Tu as raté le spectacle de notre fille. Â»

Mon ventre grogna. Je fis mine à Lise que j’allais chercher Claire dans sa chambre.

Je montai l’escalier, arrivai devant sa porte et toquai.

Elle ouvra, totalement exaspérée, comme à chaque fois que je la dérangeais dans son antre secrète.

Elle pouvait s’estimer heureuse. Certains parents prendraient même pas la peine de frapper pour rentrer dans son nid à posters.

Mais je comprenais aussi qu’elle était en colère contre moi. C’était normal.

Alors qu’elle mettait la table, j’en profitai pour me changer et me mettre plus à l’aise.

Je repensai au jeune Nataniel et son regard.

« Tous le même regard. Â»

Tous ces jeunes que j’avais pu voir dans les accidents de la route, comme Cédric.

C’était après l’avoir vu deux jambes en moins que j’avais demandé à faire de la paperasse.

Même sans jambes, ça n’avait pas empêché mon frangin d’être un super ingénieur.

_Papaaaa !!! meugla une voix depuis le rez-de-chaussée.

Je répondis du même meuglement.

« J’suis eeeen week eeend. Â»

 

 

 

_J’suis en r’tard!

Vache. J’en revenais pas. Le week end était passé si vite.

La portière de la voiture claqua. Guigui au volant, il traça, toutes sirènes hurlantes.

Apparemment, il y avait eut beaucoup d’agitation chez les Carnicer.

J’avais justement parlé de lui, la veille, à Lise.

_Et ce Thomas sait quelque chose à propos des homicides ?

_Non… Mais j’suis persuadé qu’il a un rapport avec c’qui est arrivé aux Vidal.

_Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

_C’est le seul dans toute la région à avoir eu des rapports sérieux avec un membre de la famille Vidal. Et le pire, c’est que l’soir même de l’accident de Nataniel, Thomas s’faisait agresser par lui, au lycée.

_Oui, ta fille m’en avait parlé, j’avais oublié de te le dire. D’ailleurs, les deux dont tu me parles sont dans sa classe. Elle n’aime pas trop Thomas si je me souviens bien. Trop dans son monde...

_Demain, faudra que j’pense à lui dire de s’éloigner le plus possible de lui.

_Il est dangeureux ?

_Non… Mais tout ça, ça l’est. C’est bien plus gros qu’un accident de voitures. Bien plus…

_Mais tu feras ton travail… N’est-ce pas ?

_Comme j’te l’ai promi le jour où j’t’ai épousé. Oui.

Puis elle glissa sa main sous la couverture et…

Le freinage brusque me fit revenir à la réalité. Devant le portail, une mamie courte sur patte arrêtait pas de gesticuler. Guillaume tenta de la dissuader de venir avec nous, alors que je poussai énergiquement le portail et courrait, main sur la crosse, vers la porte d’entrée.

Avant que j’l’atteigne, un homme l’ouvrit. Je lui demandai immédiatement son identité.

Il était d’un calme inquiétant .

_Je suis le cousin de Thomas. Qu’il y a-t-il de si urgent pour que vous courriez comme cela jusqu’à ma porte ?

Je lui expliquai l’appel de la voisine, alors que Guillaume nous rejoignait.

_Il n’y a rien ici, à part une chaise en miette. Elle a dégringolé de l’escalier…

_On peut entrer ? lança Guillaume.

_Sous quel motif ? Navré, mais je ne puis laisser des individus pénetrer dans cette demeure en l’absence de leurs proprietaires… Et Thomas est au lycée.

Il le regarda avec insistance, avant de revenir lentement sur moi.

_Bon, ben désolé. On s’en va.

Dans le même temps, Guigui fit demi-tour et la porte se referma pratiquement sur moi.

_Qu’est-ce qui t’prend ? Faut vérifier l’intérieur !

Il monta dans la voiture et m’attendit. Je pris le temps de dire à la voisine que ce n’était rien, puis je montai à ma place, sans comprendre.

Peut être que j’avais pas envie de comprendre, que j’voulais seulement… Partir loin.

Sur la route, il rompa le silence.

_J’sais pas ce qu’il m’a prit… J’ai eu comme une sensation qu’il fallait que je parte…

_C’est pas grave. De toute façon… Faut s’occuper des dossiers…

 

 

 

L’après midi entière, jusqu’au soir, chacun de nous se goinfra un, voire deux dossiers. Restait quand même cette histoire du cousin sorti de derrière les fagots qui me préoccupait.

Lorsque j’eus un moment de libre, j’appelai le lycée Benoît pour obtenir les dossiers de Nataniel et Thomas.

_… Merci pour votre coopération… Mais sinon, Thomas est un élève calme ?

_ Il est agréable, d’après ses professeurs. Il a seulement manqué les cours aujourd’hui.

_Non de… !

Je raccrochai le téléphone au nez d’la femme.

_Guillaume ! Le cousin, j’le sens pas !

Je pris ma veste. Mon pote fit pareil. J’avais jamais en si peu de temps entendu autant ce foutu gyro. Il m’explosait les tympans à force.

Il faisait déjà nuit lorsqu’on se gara de l’autre côté du rond point qui cachait l’entrée du lotissement. On allait vérifier discrètement si tout allait bien, puis partir comme on était venu.

Le temps de faire le tour du rond point à pied, une voiture sorti de chez les Carnicer.

Guillaume se pencha vers moi, en chuchotant.

_… Mon médecin de famille ! Tiens, regardes. La voiture des parents est là.

On se glissa à l’intérieur du jardin, puis nous allâmes jusqu’à regarder par la fenêtre. Les parents mangeaient à table, la télé allumée. Le gosse n’était pas là, lui.

Mais tout avair l’air normal. Sauf nous. Jusque dans la voiture, nous gardâmes le silence. Et encore, une fois à l’intérieur, on ne parla pas non plus.

_L’affaire va être classé, Didier. Depuis le début, on va à gauche à droite… Enfin voilà quoi. Le commendant veut pas d’une merde noire. Et moi non plus.

_J’comprends.

Ca me foutait mal au cœur de pas honorer correctement ma promesse. Mais il y avait des limites à c’que j’pouvais faire.

Guillaume tourna la clef et mis le contact attendant de pouvoir démarrer.

_Attends, arrêtes !

_Quoi ?

Je montrai du doigt l’toit de l’immeuble en face. Même s’il f’sait pratiqu’ment plus jour, on y voyait assez.

C’qui s’trouvait là était sûrement notre principal suspect. J’pensai à Claire. Elle devait être dehors à cette heure-ci. Et cette chose pouvait aussi s’en prendre à elle.

_Puuuutain de…

La respiration de Guillaume s’embala. Moi-même, j’avais du mal à garder mon calme, mais j’étais scotché.

Un truc énormissime. Voilà c’que c’était. Ca bougeait, c’était vivant. On était plus du tout dans l’hypothèse de la mise en scène, là. Là, on avait du concret. Un concret avec un bras comme mes deux cuisses en appui sur l’extremité du toit, tourné vers la maison Carnicer.

Dans les deux cents kilos, vu ses muscles, il était encore assez ramassé pour passer une porte, enfin, plus ou moins. Son crâne était allongé, avec des oreilles en pointe, presque comme un doberman. Le ciel lui donnait une teinte rougeâtre… A moins que c’ne fut sa couleur de peau.

J’avais du mal à discerner la taille de c’monstre, mais il semblait pas assez gros pour l’incident de Marseille.

« Il y en a d’autres... Â»

_On se casse, on se casse !!

_Ta gueule, Guigui ! Il va nous voir !

Les massacres en Chine, à Marseille, ici… Si les clandestins étaient venus sauver les Vidal ?

J’imaginai petit à petit toute l’histoire.

« Les parents morts dans leur lit, le sang dans la chambre, les griffures, le béton éclaté, la voiture… Â»

Le parents s’étaient donc fait surprendre par ces… Choses. Mais avant que ça chope le gosse, les autres étaient venus et avaient quitté la maison… Seulement les machins les avaient rattrapés et voilà. Guillaume était complètement paniqué. Il fallut que je l’attrape pour qu’il me r’garde.

_On doit renforcer la sécurité de Nataniel ! Et il faut protéger l’autre gosse !

_Et avec quoi ? Avec quoi !? T’as vu ce… Truc ! Tu fais c’que tu veux, mais moi, j’me casse !

_Ok… Démarre doucement, et on part feux éteints…

Ils s’en étaient prit à la famille Vidal. Mais si c’était le gosse qu’on avait voulu sauver, alors il devait être spécial. J’irai le voir, à l’hôpital. Mais d’abord… D’abord, j’parlerai à Lise.

« Elle, elle saura. Â»

Le paysage défilait devant mes yeux. J’avais peur. Mais c’qui était arrivé aux Vidal pouvait m’arriver à ma famille et moi, à celle des Carnicer.

_Didier ! Me dis pas que tu vas continuer après ce qu’on a vu !?

_Désolé, Guigui. Mais j’vais pas lâcher les deux gosses maint’nant.

Je savais pas comment, mais j’allais les protéger. Quoiqu’il arrive.

_Et tu vas faire quoi !?

_J’vais honorer ma promesse.

J’voyais déjà la suite. Le labo nous dirait qu’le sang d’la chambre était chelou. L’enquête serait divisée en deux : d’un côté, l’accident foireux, et de l’autre, le cambriolage-enlèvement, qui l’était tout autant. J’irai veiller sur les gosses après l’service –voire pendant. Un gars de la D.S.T. viendrait nous dire bonjour et j’me f’rais butter en portégeant l’second gosse.

P’tet. P’tet pas.












14/08/2007
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Call Of Nemesis : Date indéterminée (partie 1/2)

Chapitre 1 :      _

 

 

Mes                                                                doigts                                       sont           

 
 

                                                                                                                       là.     

 

Je     

                                                             peux                                                les             

 

 

                            voir                                          sans                                bouger.

 

 

Ils                         sont                      couverts                                    de gravats.

 

 

Il                              me                  regarde,                                                                                                                                                          

                                                                                                   mort.                    

                           

 

Je…                       Je crois                                                        que je suis

            vivante.


 

 

 

Mais                                         j'ai du mal                                          à respirer.

 

 

Le vent                                                                 souffle,                           mais

 

je                          ne l'entends pas.                Je n'entends         plus.                  

Un   voile   noir   cache                         de   temps  à  autre                             ma vue.

 

La douleur                 vient                   ,                  progressivement.

 

Je   suis                                   au   sol,                                            sur  le  ventre.

 

_        !                  !        !

        

Du   coin  de  l'Å“il,                                         j'aperçois   Marion             qui   m'appelle,                                  à   moitié   cachée                       dans    une   ruelle.                         Je devine                                   ce qu'elle me dit.

« Planque-toi,                   planque  -  toi ! »

Mais   je   ne   peux   pas                                bouger.                 Mes  yeux  se  fixent

sur  le  sol  qui  tremble ,              le  grondement                 passe au dessus de ma tête   

en direction de la ruelle. Le souffle qui suit est si puissant que mon corps décolle et heurte la base d'un lampadaire. La souffrance me permet de me tenir éveillée.

« Tu dois te sortir de là. »

Je bascule mon bassin dans le but d'apercevoir l'avenue en aval et tends l'oreille, tant bien que mal. Contrairement à mon audition, ma vue ne me fait pas défaut. J'assiste à l'une des plus impressionnantes démonstration de puissance de feu de ma vie.

Les impacts creusent les façades, les vitres se brisent, des étages entiers sont pulvérisés par les tirs de chars. L'un d'eux a fait feu sur nous. Oui, c'est pour ça que je suis couchée. Ma jupe est fendue, trouée et très sale. Je devais –oui, je devais- la porter à l'antenne. Où est le caméraman ? Où est Marion ?

« Tu dois te sortir de là. »

Je suis sonnée, je le sais, tout comme j'ai conscience du fait que je ne peux pas me déplacer dans cet état. Les tirs se rapprochent, fusent au dessus de ma tête. Ils s'affèrent, courent et se cachent. Certains tombent, mais leurs troupes progressent, face à une division blindée en déroute. Les tirs d'obus sont moins fréquents, les chars se replient, j'ignore pourquoi. Ceux qui arrivent ne forment qu'une poignée d'hommes faiblement armés, à peine dangereux contre l'armada déployée. Cependant, pour moi, ils représentent une menace. De mon bras valide, je remets mes cheveux devant mon visage et fait la morte. Ils se rapprochent. Ils sont tout près, se parlent entre eux, mais je comprends mal.

_Il y a des survivants ?

_Non, je ne crois pas.

_Si, là ! Il y a une personne encore en vie ! Amenez vite un brancard !

Ils se posent tous tout autour de moi. L'un d'eux se penche. J'essaye de tomber dans les pommes, d'être morte, qu'ils me laissent tranquille. Mais je n'y parviens pas. Il est jeune, celui qui pose ses doigts sur mon coup, trop jeune, comme toujours.

_C'est           bon, on l'emmène, les gars ! Aller, on se bouge, maintenant !

Deux d'entre eux me soulèvent et me placent sur un brancard. Le paysage défile, me montre des corps sans vie, déchiquetés ; des décombres encore fumantes  et même deux chars complètement renversés. Parfois, la course stop un long moment, puis reprend de plus belle. Je ne regarde bientôt plus que le ciel et ses nuages. Juste le ciel.

 

 

 

 

Chapitre 2 : 13h17


 

 

 

 

Lorsque je repris conscience, il me fallut un long et douloureux moment avant de me souvenir de comment j'avais atterri là. La pièce sans fenêtre ne possédait pour seul meuble qu'une simple petite chaise en bois, usée par le temps. Une faible lumière jaune l'éclairait dans sa totalité. Ils me gardaient ici, sans doute pour m'interroger. En tant que journaliste, je devais avoir des informations qu'ils n'avaient pas. A moi de les marchander contre ma liberté. Seulement, j'en savais très peu, et ce serait sûrement insuffisant si je comptais également faire libérer le reste de mon équipe. Je stoppai net mon résonnement dès lors que je me souvins du sort de Yoann et Marion. Les larmes me vinrent rapidement et se bousculèrent bientôt pour couler.

_Tss !

« Ne pleure pas ! Pas quand ils pourraient venir te voir d'un moment à l'autre ! Tu te dis forte ? Alors prouve-le ! »

Je m'assis sur la chaise, pris mon inspiration et expirai lentement. Ce qui allait suivre ne laissait place ni au hasard, ni à l'erreur, et encore moins aux sentiments. Les ignorer rendait les épreuves plus simples à vivre. En un sens, le fait que je fusse seule me donnait un avantage, car il n'y avait pas d'autre personne dont il fallait se soucier, hormis moi. Je pouvais me permettre plus de liberté au niveau des négociations. Cette flexibilité était un luxe que je payais cher, de la vie de deux personnes que j'aurais voulu connaître davantage. J'avais rencontré Yoann le jour de son embauche. Un jeune caméraman drogué à l'adrénaline... Couvrir les conflits aurait dû être son truc, tout comme c'était le mien. La vie ne lui avait pas permis de poursuivre ses rêves. Quant à Marion, nous l'avions prise pour guide lorsque nous étions arrivés dans la région.

Tous deux connaissaient les risques d'un tel reportage. Les origines de cette guerre civile... Je n'aurais jamais dû confier un tel sujet à deux jeunes comme eux. Je n'y pouvais maintenant plus grand chose, à part essayer de sauver la dernière membre de l'équipe.

Sur ce dernier point, je focalisai mes pensées. J'ignorais tout de mes tortionnaires, leurs motivations, leurs méthodes d'interrogatoire.

Après des missions au Cambodge ou en Corée du Sud, jamais je n'étais tombée sur des ravisseurs que je ne connaissais pas. La difficulté résidait dans le maintient de la situation, sachant pertinemment que je n'avais rien pour marchander ou me battre, et personne pour me sortir d'affaire cette fois.

La porte s'ouvrit si brusquement que je manquai de peu de sursauter. Derrière, deux hommes –dont le jeune qui m'avait découverte- entrèrent. Les deux caucasiens, extrêmement différents, possédaient néanmoins exactement le même regard. Le premier, la trentaine, peut être plus, affichait un sourire qui ne le quittait semblait-il jamais. Le second, plus jeune possédait un visage bien plus grave. Mes deux visiteurs demeuraient immobiles et peu loquaces, si imposants, si massifs. Ils correspondaient à la description que m'en avait faite Marion, qu'elle-même avait entendu quelques semaines plus tôt.

Je me risquai au bout de quelques secondes à rompre le silence, quitte à ce qu'ils prennent par la suite l'initiative.

_Vous êtes... Des cacodaïmons, n'est-ce pas ?

Du petit sourire du premier émergea une rangée de dents. Le second se contenta de froncer les sourcils. Ils se regardèrent.

_Surprenant, n'est-Se pas ? S'est intereSant.

Le blond paraissait prendre plaisir à accentuer ses « s ». Maintenant que je l'entendais, il ressemblait assez à un reptile. Le visage allongé, ses yeux clairs brillaient, sans qu'il ne les eusse bougé des miens.

_Que Savez-vous de Sela ?

J'avais commencé à parler. Trop tard pour faire marche arrière et me taire. J'espérai néanmoins ne pas dire de monstruosité, ce qui malheureusement était fort probable, vu mon manque d'information.

_Vous êtes... La Troisième faction. Lors des première émeutes, vous avez mis le feu aux poudres, coordonné les cellules de tous le pays et finalement déclenché la guerre civile que nous connaissons.

Le serpent cacha sa rangée de dents, et ce fût le second qui montra la sienne.

_S'est déSevant...

Il baissa les yeux, pivota en direction de la porte, l'ouvrit, puis sortit sans rien ajouter. On aurait presque dit un gosse. L'autre par contre restait planté devant moi, sans bouger. Des deux, il était le plus impressionnant. Son visage ne trahissait aucune émotion et son corps ne laissait paraître que la maîtrise qu'il en avait.

J'avais repris l'avantage face à leur manège. Il m'appartenait désormais de rester silencieuse et d'attendre qu'il ouvre la bouche, ce qu'il ne tarda pas à faire.

_Cacodaïmon, hum ? Je dois vous avouer que je suis également très déçue par votre ignorance. J'espérais beaucoup de vous.

Il fit demi-tour, vers la porte. La faim et la soif se feraient bientôt sentir, mais il fallait que j'obtienne un nom à mettre sur son visage, seule manière d'établir un contact durable avec eux.

_Comment vous appelez-vous ?

Il se retourna, lentement.

_Un de mes amis vous dirait que la vraie seule question à se poser est qui êtes-vous, vous ? Interrogez-vous avant de demander à connaître mon identité.

Puis il passa d'un sourire de vainqueur la porte. S'en suivirent le silence et la solitude. Sans doute allaient-ils me faire mijoter une journée entière. Accessoirement, ce groupe, qui tenait apparemment à m'empêcher d'achever mon reportage, voulait ma tête. Puisque je vivais encore, je supposai sans trop me tromper qu'ils avaient modifié leurs plans me concernant, pour l'instant, du moins. Il ne fallait donc pas que j'espère sortir de là aujourd'hui ou demain. Je ne savais même pas à quel date nous étions. Cela faisait un, peut être deux jours que j'étais prisonnière. La seule information temporelle que j'avais était l'heure de ma vieille montre.

« Treize heures dix-sept. Ils viendront t'interroger la nuit tombée. Tu devrais dormir. »

Au bout de vingt ans passés à voyager d'un pays à l'autre, je commençais à connaître la chanson. Une chose qui ne pourrait sans doute jamais changer était ma manie de me materner sans arrêt, comme si j'étais incapable de faire quoi que ce fût sans me l'avoir au préalable ordonné à moi-même.

Je décidai de me mettre à l'aise, de leur montrer que je savais comment fonctionnait ce jeu. Je pris la chaise et la reversai juste contre la porte. Au moins, il ne me surprendraient pas durant mon repos. Je m'assis dans le coin opposé et me servis de ma veste comme d'un oreiller. Pour cette fois-ci, je comptais laisser la lumière allumée. Pour cette fois-ci seulement.

Comme prévu, lorsque l'on poussa la porte, la chaise bascula et me réveilla. Le jeune homme –encore lui- entra sans poser un seul regard sur la chaise, un plateau repas dans ses mains. Mon ventre grogna si fort qu'il fallut que je me lève pour camoufler le vacarme. Ce fut l'occasion de regarder l'heure, ce qui me permit de voir que mon estimation avait été bonne.

Je m'approchai de lui, pris la chaise et la remise debout, à sa place.

_Voici pour vous.

Il me tendit le plateau, que je pris, doucement.

_Merci.

Sans jeter un œil à ce qu'il y avait dessus, je le posai au sol, dans un coin.

_Si cela ne vous fait rien, je mangerai plus tard. Je souhaiterais avant tout discuter avec vous.

Un très léger rictus paru déformer son visage, mais les mots qui suivirent furent sur le ton de la réjouissance. Je me serais volontiers attaqué à ce qu'il avait apporté, mais pour rien au monde je ne lui aurais donné satisfaction.

_Bien. Dans ce cas, discutons.

Il me tourna le dos et se dirigea encore une fois vers la porte. J'allais encore le perdre ! Je le pris de vitesse, aussi calmement que possible.

_Je ne sais toujours pas comment vous appeler !

Il tourna la tête, les yeux rivés vers le sol.

_Avant, on m'appelait Thomas.

_...Et maintenant ? Comment vous appelle-t-on ?

Il leva ses yeux dans les miens, puis sourit, en guise de réponse avant de sortir de la pièce.

_Je reviens avec une chaise.






24/11/2007
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